Claude Simon 6 : “La Réception critique”

Cover_Claude Simon 6Ralph Sarkonak —

“work in progress” : le titre sous lequel a été connu Finnegans Wake, lors de la prépublication d’extraits de ce dernier roman de James Joyce dans la revue transition, convient pour l’avant-propos de cette sixième livraison de la Série Claude Simon, non seulement à cause des liens intertextuels entre le romancier français et son aîné irlandais, mais aussi à cause du sujet proposé ici : la réception critique. Car s’il y a un travail de Sisyphe, c’est bien celui du critique obligé de relire les mêmes textes à l’affût de nouvelles idées, tout en cherchant une approche adéquate à son objet d’étude. En même temps, le critique est censé lire les travaux de ses pairs afin de prendre en compte l’état présent des recherches dans le champ de connaissances de sa prédilection. Vu l’expansion que les études simoniennes ont connue depuis quelques années — en particulier en France —, cela suppose un travail de lecture presque constante, des recherches continues et une familiarité avec une bibliographie critique qui va sans cesse s’allongeant. Tout cela n’est pas peu de choses. En fait, parmi les récentes tendances de la critique, on peut comprendre (et regretter) une certaine réticence à poser ses “briques” de savoir sur celles d’autres chercheurs, chacun préférant travailler tout seul, ou presque. Tel livre difficile à se procurer ou épuisé se voit déplacé et même “remplacé” par tel autre qui traite d’un sujet plus actuel, plus populaire pour dire les choses crûment, ce pour quoi le premier tend à tomber en désuétude, voire en oubli. L’«oubli critique», comme un des auteurs de la présente livraison l’appelle, est le destin qui attend tôt ou tard la plupart des discours critiques.
Les études simoniennes ont atteint aujourd’hui un degré de maturité qu’elles n’avaient pas quand j’ai lancé la Série en 1993, et encore moins en 1979 quand j’ai soutenu ma thèse. À cette époque “innocente” où leur rareté donnait aux premiers comptes rendus et articles un prestige spécial, on pouvait encore tout lire et tenir compte de tout ce qui s’était déjà dit dans le domaine en faisant ses propres recherches. Aujourd’hui avec la spécialisation des discours critiques et la multiplication des approches, une telle époque paraît bien lointaine. On pourrait ajouter les différends idéologiques à cette liste de nouveaux facteurs expliquant que tout le monde ne lit pas tout ce qui se publie, si on ne savait pas que les chercheurs universitaires n’ont pas de moi.

Claude Simon 6 : “La Réception critique”. Ralph Sarkonak ed. Caen, Lettres Modernes Minard, 2012. Coll. « La Revue des lettres modernes ».

ISBN 978-2-256-91167-5III.